lundi 2 avril 2007

un flot qui nous submerge


« C'est une furie de neurones qui grouille dans nos têtes, tu comprends ? À force comme à gré, nous avons apprivoisé cette bête jusqu'à croire que nous la contrôlions tout à fait mais c'est faux, ce n'est qu'une vue de l'esprit qu'on entretient parce qu'elle est indispensable à notre survie, sinon nous serions constamment débordé par ce qui se trame sous notre crâne. Ce serait un vertige sans fond. Non, ce n'est pas possible, le salut est dans la maîtrise de soi, que cela soit fondé ou non, que ce soit une réalité ou un leurre, une vérité ou un masque, nous n'avons pas le choix ! Il faut le faire. Alors on se refuse à voir notre cerveau tel qu'il est en réalité car si jamais on nous le jetait à la figure, sûr qu'on n'en ressortirait pas indemnes.
Pourtant il est bien là, notre ciboulot. Pourtant il s'agite en dedans, c'est un flot qui nous entraîne, aussi imperceptible que le temps qui passe, aussi envahissant que lui. Ce n'est pas rien de savoir cela ! Un flot qui nous submerge... dans lequel on surnage à peine ; et on bouge des bras, et on croit dominer cette énorme machinerie quand nous ne sommes que des pantins à son service. Imagine maintenant une boîte aux lettres perdue dans la ville comme une aiguille au milieu d'une botte de foin, et tu dois la retrouver, et tu la retrouveras, mais malgré toi - tu comprends ? Hé bien crois-moi, c'est ton cerveau qui aura fait le travail et non ta maigre volonté. »

Voilà ce que j'expliquais à Géraldine ce soir-là, elle m'écoutait attentivement mais je voyais poindre dans son regard quelques lueurs d'inquiétude. Était-ce le signe qu'elle avait été affectée par les horizons nouveaux que j'ouvrais devant elle, ou bien me prenait-elle déjà pour fou ? Je n'ai pas pu le déterminer avec certitude car Hervé a mis fin à notre conversation en annonçant : « C'est prêt ! » Géraldine m'a regardé avec un léger sourire, de ceux qui invitent à se lever et passer à table et nous n'avons plus abordé le sujet de tout le repas_; il ne m'avait pas quitté pour autant. J'ai essayé quelquefois d'accrocher le regard de Géraldine pour y déceler quelque complicité cachée mais je n'ai rien senti, elle semblait être restée indifférente à notre discussion. Au fur et à mesure que passaient les heures, la soirée est devenue de plus en plus pénible, je les ai quittés prématurément et je suis rentré chez moi, pensif.

Il y a quand même quelque chose d'important là-dedans, j'en suis sûr. Comment un métier peut-il à ce point modifier un homme ? Car tout vient de là. La nuit agit sur moi comme un burin qui s'attaque à mon crâne et s'applique à en décoller je ne sais quelle gangue qui l'enserre trop bien.